J'étais surpris qu'elle ouvre son cœur à moi de la sorte. Si cette période nous apprenait la solidarité, elle nous apprenait également à garder les peines enfouies. Trop de morts, trop de pertes, trop de tracas pour cette période... En cinq ans, un survivant avait vécu plus de traumas qu'un être humain normal en 15 ans. Je la regardai avec tristesse, la mort d'un enfant n'était jamais facile à gérer et je n'osais imaginer comme cela avait dû être difficile pour elle. "Comment s'appelait-il?" Je ne pouvais pas faire grand chose d'autre, si ce n'était l'aider à parler si elle le voulait. Ou alors la garder en silence si c'était ce qu'elle préférait, mais elle semblait avoir décidé d'ouvrir la boîte de Pandore, alors autant la laisser vider son sac comme elle le voudrait.

C'était un bon souvenir pour elle, c'était déjà ça. Le plus difficile quelque part, c'était de ne pas laisser la mort ternir les puissants souvenirs qu'on avait d'une personne. Les rires, les bonheurs, les bons moments. Il était si difficile de les entretenir lorsque cela faisait si longtemps qu'on voyageait avec le deuil. Je posai une main sur la sienne avec une certaine douceur. M'occuper d'elle m'empêchait d'imaginer moi ce qu'il pourrait arriver si c'était trop tard... Une sourde douleur grondait en moi et partait de mon cœur pour atteindre mon cerveau. ça ne pouvait pas être trop tard. "Ne vous en faites pas pour le bain, nous avons le temps... Parlez moi de Nathan, comment il était?" C'était une thérapie d'entendre une autre personne lui parler, avoir une réelle discussion, trouver vraiment avec quoi occuper ses pensées. Pense au bonheur, penser au passé, tellement le futur semblait avoir disparu.

Il voyait que l'affaire était délicate, mais malgré tout elle avait l'air d'avoir réussi à conserver le sourire, ce qui était toujours quelque chose. Même s'il était léger, le petit sourire était là et signifiait pour lui que tout espoir n'était pas encore perdu et que peut-être que le bonheur pourrait à nouveau exister chez elle. Cela lui faisait plaisir. Il y avait en lui ce côté éternel optimiste, même s'il ne le montrait pas. Il voulait espérer encore que tout finirait bien, il voulait rêver au bonheur, à un monde qui s'améliorerait. Le cœur serré, il soupira lorsqu'il l'entendit lui poser la question sur sa vie. Il comprenait que cela pouvait être difficile pour elle. Lui n'avait officiellement rien perdu. Et il n'était pas sûr qu'il retrouverait ce qu'il cherchait tant, mais il ne pouvait qu'espérer.

"Je n'ai pas vraiment d'histoires... J'était juste un homme comme les autres avant que tout ça commence." Il se râcla un peu la gorge et gratta la barbe sale. "J'avais laissé mes enfants à ma femme pour les vacances, lorsque tout ça a éclaté... Je dois les retrouver."

Son regard s'était troublé, mais elle pouvait y lire la détermination. "Ils ont besoin de leur père pour les protéger."

J'avais encore dit ma femme... C'était fou comme certaines habitudes avaient la vie dure. Les années avaient beau avoir passé, j'avais beau avoir traversé l'enfer aller-retour et avoir encore du chemin à faire... Elle restait ma femme, malgré le temps, malgré la distance, malgré tout ce qu'il pouvait y avoir. Seraphina avait l'air surprise que je dois marié et l'espace d'un instant, je me demandai pourquoi. Cela dit, j'aurais probablement pu éviter de faire encore cette même faute que je faisais trop malgré le temps.
"Oh... Non, non, je ne suis pas marié... Enfin, si, sur les papiers, mais la vérité, c'est que cela fait bien longtemps que je n'ai pas passé du temps avec celle qui reste ma femme..."

Il haussa les épaules. Bien sûr, il avait perdu contact avec Olivia, mais elle restait la mère de ses enfants et ils avaient partagé des années de bonheur. Elle se faisait aussi du souci pour elle, mais sa priorité restaient ses enfants.
"Et puis ne t'en fais pas.. C'est normal que ces questions sortent. Ce sont les questions normales finalement d'une conversation, plutôt que de savoir quel est le coin le moins infesté qu'on a trouvé." Je tentai de plaisanter légèrement, puis je haussai les épaules. "Je ne fais rien d'autre pour mes enfants que ce que n'importe quel père aurait fait. Sebastian doit avoir 13 ans maintenant et Cassia... Cassia doit approcher les 10 ans." Ma voix sortit un peu plus rauque que je ne l'aurais voulu, car je me demandais si Cassia se souvenait encore de moi. Elle était si jeune lorsque je l'avais vue pour la dernière fois. "Parfois je peine à croire que cela fait déjà tant de temps que je suis en chemin sans pour autant parvenir à les rejoindre."

J'évitais de trop penser aux enfants la plupart du temps. Alors qu'ils étaient mon but, alors qu'ils étaient ma raison de vivre, rien ne me rendait plus nostalgique que de penser à eux et les imaginer dans cet enfer. Je devais les rejoindre pour les protéger et redevenir leur père. Plus que jamais, je savais qu'ils avaient besoin de moi. Penser à eux me faisait peur, parce que j'avais peur de ne pas être là pour eux... De ne pas arriver à temps pour les sauver. Plein d'incertitudes, j'avançais à petits pas à chaque fois, parfois la douleur pouvait me paralyser. Alors parfois, je n'y pensais pas. J'essayais de garder l'idée de mes enfants, mais je tentais d'oublier qu'ils n'étaient pas là. Je vis la larme rouler de ses yeux et je l'écoutai avec attention. Il y avait quelque chose, en effet. Quelque chose qui m'avait poussé à immédiatement la protéger et immédiatement la garder à mes côtés. Je hochai la tête et essuyai sa joue à mon tour.
"Je vous remercie pour votre générosité et pour penser à moi de la sorte. Je suis sûr qu'ils vont bien et qu'ils attendent avec impatience l'arrivée de leur père. Ils doivent savoir que je vais les chercher." Il fait un petit sourire. "Et votre sœur doit savoir que vous allez la rejoindre, même si vous avez tout perdu, il y a encore de l'espoir. Je sais qu'un jour, nous reconstruirons ce monde... Et qui sait, peut-être qu'il sera encore plus beau qu'avant."

Oui, je pensais possible que le monde reprenne après cela. L'être humain avait de grandes capacités d'adaptation et je savais que nous pouvions surmonter ça. Repartir à 0... Avec le nombre de morts qu'il y avait eus, le sol ne manquait pas de fertilisants... Aussitôt que cette pensée me traversa l'esprit, je me sentis mal. Je n'avais pas le droit de laisser des pensées pareilles m'envahir. Mais je regardai la jeune femme face à moi et lui offris un simple sourire.

"Vous n'êtes pas la même... Personne ne sera le même, pas après ces cinq années que nous venons de vivre. Mais cette nouvelle personne ne sera peut-être pas si mal que ça... Plus forte, courageuse, elle sait maintenant ce que la vie peut réserver et la force dont elle dispose pour faire face aux épreuves. Alors non, vous ne serez pas la même, mais ce n'est pas un mal." Il fait bouger sa nuque. "Vous devriez vous coucher et dormir... Je monterai la garde."

Il rit en voyant la jeune femme parler et se moquer gentiment d'elle. Un doux rire, grave et profond. Elle ne devait pas avoir l'habitude de rire, ni d'avoir des gens autour pour rigoler, il le voyait dans ses yeux. Il se leva en souriant. "Je vais prendre un bian et je ne vais pas m'endormir... Mais ce que je vous propose, c'est que nous restions unis... Nous allons les deux au même endroit et nous devons les deux faire face aux mêmes problèmes.." Il lui tend la main. "Ce n'est pas si mal d'avoir un partenaire à ses côtés, non?"